Le Sacrifice du Dragon - 1ère Partie - Chapitre 2 (de Laurent Dragon Royer)
Il n’était pas rare de voir passer le seigneur et ses hommes, soit quand ils partaient guerroyer, soit quand ils s’en allaient à la chasse mais cette fois, selon toute vraisemblance, ils n’étaient équipés ni pour l’un ni pour l’autre. Les gens s’arrêtaient de bêcher, de biner ou de pousser la charrue pour les regarder cheminer. Si près du château, on s’était posé la question, quelques rumeurs étaient parvenues Jusqu'aux champs et fermes un peu plus éloignées. Certaines prétendaient que le seigneur de Piéval, frère ennemi de leur maître, avait envoyé des troupes massacrer les gens vivant à la bordure du domaine qui ne se soumettaient pas à son autorité sous prétexte qu’il en revendiquait le territoire. D'autres, sans doute plus proche de la vérité, selon Gyls, évoquaient que des bandits avaient pénétré sur ses terres et s’étaient attaqués aux hameaux les plus isolés.
Le seigneur de Monval n’avait pas voulu effrayer ses gens et avait répondu aux inquiétudes en assurant qu’on lui avait signalé quelques troubles et qu’il allait y mettre bon ordre. Heureusement, dans un sens, la ferme du Grand Paul était particulièrement isolée. Si les gens n’avaient pas prêté trop attention à Hernan qui pourtant avait dû paraître particulièrement affolé, il y avait peu de chance que des voisins se soient rendus compte de ce qu’il s’était passé ; la dernière ferme dans cette direction se trouvait bien avant le bois de Roncevac.
Maintenant qu’il y songeait, Gyls se disait que le Grand Paul avait bien été un des seuls à ne pas prêter foi aux superstitions entourant le bois. Il n’était guère un homme très pieux, non plus. Le travail à la ferme nécessitant une attention de tous les instants et le village où se trouvait l’église étant bien trop loin pour qu’il s’absente le temps d’une messe, il ne quitter sa demeure que pour amener ses cochons à la foire ou au château. Ce n’était pas un homme bourru ni un marginal qui s’isolait loin de la population. Au contraire, quand il fallait tuer le cochon, c’était l’occasion de faire venir des gens de tout le domaine. Il avait plus d’une fois invité la famille du seigneur à y assister. C’était une véritable fête que personne ne voulait manquer ; on y faisait bonne ripaille, vin et bière y coulaient à flot.
D'après ce que Paul avait expliqué à son seigneur, l’endroit était propice à l’élevage de ses cochons. Le bois de Roncevac était peuplé des plus beaux chênes du domaine et, il en était persuadé, de toute la région. Ses bêtes raffolant des glands, c’était en partie pourquoi il s’était installé ici. D'autre part, comme il n’avait pas de voisin immédiat, il pouvait les laisser en semi-liberté sans déranger personne. C’était pourquoi ses porcs étaient en bonne santé et donnaient ainsi de la bonne viande. Quant à toutes ces histoires de fées, de farfadets ou encore d’esprits de la nature qui habiteraient ces bois, il n’en avait jamais aperçu ne serait-ce que l’ombre d’un !
Soudain, le bruit d’un cheval au galop tira Gyls de ses réflexions. Thibault, qui se trouvait être le plus jeune de ses soldats, avait été envoyé en éclaireur et s’en revenait. Il n’avait pas tout à fait quinze ans mais il n’avait pas son pareil pour détecter et suivre une piste. Il savait aussi se montrer d’une grande discrétion. Il avait d’abord fait ses preuves lors des chasses puis son talent avait été mis à contribution à la guerre où il avait permis de déjouer des tentatives d’embuscade ou d’en positionner. Gyls avait malgré tout essayé de le préserver le plus possible en lui évitant les champs de bataille ; il avait lui-même dû assumer des responsabilités d’adulte alors qu’il entrait à peine dans l’adolescence.
Thibault tira d’un coup sec sur les rennes, manquant de faire cabrer dangereusement sa monture. Son visage était aussi pâle que la mort. Incapable de dire un mot, il descendit de cheval, fit quelques pas avant de se courber en deux et de rendre tout que son estomac contenait. Le jeune homme n’avait peut-être pas encore combattu mais il avait aidé à rassembler les morts une fois les combats terminés. Il avait vu suffisamment de cadavres pour ne plus tourner de l’œil ou se rendre malade. Ce qu’il avait découvert chez le Grand Paul l’avait visiblement bouleversé. Il lui fallut encore quelques instants avant d’être en mesure d’aligner plus de trois mots.
— Seigneur, c’est… C’est vraiment horrible ! Ils… Ils sont… On les a…
— Calme-toi, Thibault ! l’encouragea Gyls qui était descendu de selle et avait posé ses mains sur les épaules du jeune homme. On se doute de ce que l’on va trouver. Est-ce que tu as vu des traces encore fraîches ?
— Mon seigneur, vous… Ça fait des jours… Je pense que ça fait au moins une semaine que ça s’est passé. Mais ce n’est pas tout…
Devant le regard incrédule de Gyls et celui teinté de réprobation de son chef, Thibault hésita un peu avant de poursuivre. Il surprit quelques sourires moqueurs, sous-entendant qu’il manquait de tripes, sur le visage des autres. Finalement, il regarda son seigneur droit dans les yeux.
— Ce n’est pas juste un massacre, seigneur. Ils ont été traités pire que des animaux. Les corps ont été dépecés et coupés en morceaux, les têtes ont été plantées sur des piquets… Surtout, et je le jure sur le nom du Seigneur Tout Puissant… (Il se signa tout en disant cela, aussitôt imité, sans doute machinalement, par trois ou quatre de ses compagnons.) On… on les a cuit et mangé ! Il y a des corps embrochés au-dessus de grands foyers. Je n’ai rien vu de plus, seigneur, j’ai… je suis parti vous prévenir.
— Tu as fui, plutôt, tu n’es qu’un trouillard ! Et maintenant, tu dis n’importe quoi pour justifier ta couardise ! Tu n’as même pas pensé à regarder si les bandits étaient toujours là ! le tança Nicolas, furieux.
Il démonta à son tour et d’un pas décidé s’apprêta à corriger Thibault pour avoir manqué à son devoir et tenté de mentir à son seigneur. Avant que le poing n’atteigne le visage du jeune homme, Gyls arrêta le bras de son second.
— Je ne sais pas si ce qu’il a vu est vrai mais il le croit sincèrement, dit-il pour calmer le chef des gardes. Peut-être qu’il a pris des rôtis de cochon pour des cadavres mais Hernan nous a parlé lui aussi d’un massacre. Thibault, tu prétends que plusieurs jours se sont passés depuis cette tuerie. En es-tu sûr ? La ferme du Grand Paul n’est pas si loin, Hernan n’a pas dû mettre plus d’une demi-journée pour rejoindre le château.
— Seigneur, je vous promets que je ne mens pas. Pourquoi est-ce que je mentirais ? Vous allez le voir de vos propres yeux.
Gyls aurait souri devant cette évidence si le sujet n’avait pas été si grave. Il se tourna vers Nicolas et ordonna :
— Prends deux hommes avec toi et contournez la ferme par l’extérieur. Essayez de repérer des traces. Ils devaient être assez nombreux pou perpétrer une telle tuerie. Ils étaient au moins une douzaine de personnes à vivre à la ferme du Grand Paul. Sa femme, trois fils, au moins deux filles, et des gens qui travaillaient pour lui. À mon avis, si, comme l’affirme Thibault, cela fait des jours, les meurtriers sont loin maintenant.
Se contentant de hocher de la tête, Nicolas remonta en selle et fit signe aux hommes les plus proches de lui de le suivre. Les trois cavaliers talonnèrent leurs montures et c’est au petit trot qu’ils empruntèrent un chemin qui déviait légèrement de la route principale. Malgré l’effroi qui se peignait sur le visage de Thibault, Gyls lui ordonna de reprendre sa place parmi les autres. Il aurait pu le renvoyer au château mais cela n’aurait pas aidé le jeune homme. D'une part, il devait se forger le caractère afin d’être prêt à affronter les pires situations et ensuite, il aurait immanquablement souffert des quolibets des autres gardes pour son absence de courage.
Le bois de Roncevac était étrangement silencieux. Pas un oiseau ne chantait et l’on ne percevait pas la moindre activité animale. Les cavaliers pouvaient aisément ressentir la nervosité de leurs montures. Les chevaux ne cessaient de renâcler, couchaient leurs oreilles ou bien les tendaient en direction de bruits qu’eux-seuls parvenaient à entendre. Gyls se demandait cependant si l’anxiété des bêtes n’étaient pas simplement le reflet de celle des hommes.
Le long du chemin qui conduisait jusqu'au bois, les commentaires à voix basse, ponctués de moqueries, étaient allés bon train. Thibault était resté près du seigneur et s’était renfermé dans son monde intérieur. Gyls avait bien tenté de le faire parler, en vain, le garçon n’était pas sorti de son mutisme. Mais depuis qu’ils avaient dépassé la lisière, tous les visages s’étaient durcis et plus personne n’avait plus eu envie de plaisanter. Les dos s’étaient voûtés comme si l’on craignait que les branches basses puissent vous agripper. Les doigts s’étaient crispés autour des rennes et Gyls avait surpris un ou deux de ses hommes tendre la main vers le pommeau de leur arme.
Non seulement, la forêt était plongée dans un étrange, et non moins inquiétant, silence mais la lumière du jour elle-même semblait avoir du mal à filtrer au travers de la frondaison des arbres ce qui rendait l’atmosphère plus pesante encore. À cela s’ajoutait comme une impression d’être observés. C’était comme si les habitants de ces bois retenaient leur souffle et attendaient la suite des événements. De plus, les légendes et les histoires dont Roncevac faisait l’objet n’aidaient pas à rassurer les cœurs et les âmes, même si d’aucuns prétendaient ne pas y prêter foi.
Enfin, les arbres se firent plus clairsemés, les rayons du soleil, qui était bien haut maintenant, presque à son zénith, arrivaient même à percer ici et là. Les visages se détendirent et, imperceptiblement, on se redressait. Seul Thibault paru se recroqueviller un peu plus si c’était possible. Alors qu’il n’avait toujours pas retrouvé toutes ses couleurs, il avait pâli davantage. Gyls commençait à s’inquiéter sérieusement pour lui et se demandait s’il n’allait pas défaillir avant d’atteindre la ferme.
Le chemin à la sortie du bois débouchait directement sur un pré à l’herbe rase. Le sentier était à peine visible et disparaissait complètement par endroit comme s’il était peu emprunté, ce qui devait était fort probablement le cas. En fait, cela s’expliquait sans doute par le fait que la route qui traversait le Bois de Roncevac était certes la plus directe pour se rendre à la ferme du Grand Paul mais certainement pas la plus utilisée. Le fermier n’était peut-être pas homme à prêter foi aux superstitions mais ses gens et ses voisins n’avaient pas l’esprit aussi ouvert. Une autre route, bien plus longue, contournait les bois et passait pratiquement par tous les hameaux alentours.
D’après ce qu’en savait Gyls, le Grand Paul possédait aussi deux ou trois bœufs et vaches pour le labour et le lait. Ce pré était sans doute la pâture de ses bêtes mais pas une ne s’y trouvait à ce moment-là. Nichée dans un creux entre deux collines, la ferme n’était plus très loin et l’on pouvait dors et déjà apercevoir le toit de la porcherie. D'ailleurs, d’ordinaire, on pouvait aussi entendre les porcs, sans parler de l’odeur que l’on pouvait sentir, à moins qu’avec un peu de chance le vent n’ait tourné et l’emporte dans la direction opposé. Mais la chance n’était pas au rendez-vous, bien au contraire. Cependant, c’était bien la seule chose que le vent véhiculait. À part une forte odeur nauséabonde, dont le seigneur de Monval n’était pas sûr que ce soit celle des porcs, pas un bruit, pas un cri d’animal, ne provenaient de la ferme.
— Voyons si nous trouvons des traces par ici, déclara Gyls de Monval en mettant pied à terre, aussitôt imité par ses hommes.
Seul Thibault demeura en selle, impassible, le regard absent. Le seigneur préféra lui ficher la paix et se mit à examiner le sol pour commencer puis les fourrés. Rapidement, force fut de constater que ni homme ni animal n’était passé par ici depuis longtemps. Nicolas et les gardes qui l’avaient accompagné auraient sans doute plus de chances. Et puis, à la ferme elle-même, ils ne manqueraient pas de trouver suffisamment de traces pour suivre la piste des criminels. Le seigneur et ses gens remontèrent à cheval et, sans un mot, prirent la direction des habitations.
L’impression de silence oppressant qu’ils avaient ressenti dans le bois ne les quitta finalement pas tandis qu’ils traversaient le pré. Ils parvinrent jusqu'à une clôture qui était plutôt destinée à empêcher les bêtes de s’éloigner que d’empêcher des intrus de pénétrer sur le terrain. Après tout, ces terres appartenaient au seigneur et à personne d’autre. Juste de l’autre côté, le chemin de terre battue qui constituait la route principale déroulait son tapis brunâtre tacheté du vert des touffes d’herbe qui poussaient ça et là, interrompant son périple dans la basse-cour.
En longeant la clôture, le seigneur savait qu’il parviendrait jusqu'à un portail qui donnerait du côté des étables et de la porcherie mais il voulait entrer par la cour. Sans qu’il en donne l’ordre explicite, l’un de ses hommes avaient déjà mis pied à terre et s’efforçait à enlever les deux rondins transversaux qui constituaient une section de la barrière. Une fois que tout le monde eut franchi le passage, il se contenta de les poser en croix entre les deux piquets verticaux.
Les chevaux, qui avaient malgré tout retrouvé un peu de sérénité après avoir quitté le bois, recommencèrent à renâcler n’arrêtant pas de s’ébrouer et même rechignant à avancer. Leurs yeux roulaient follement dans leurs orbites et leurs naseaux étaient dilatés. L’odeur âcre qui s’était faite plus forte au fur et à mesure qu’ils approchaient de la ferme devait particulièrement les incommoder. Soudain, la monture de Thibault se cabra, projetant son cavalier à terre, et s’enfuit au galop. Cet événement affola les autres bêtes qui manquèrent de l’imiter si leurs cavaliers ne s’y étaient pas préparés et parvinrent à les maîtriser. Il faut dire que leur état d’anxiété donnait à prévoir une telle réaction mais le jeune homme étant lui-même dans un état second s’était laissé surprendre.
Une fois toutes les bêtes calmées, un des hommes de Gyls démonta et s’approcha de Thibault, toujours inconscient :
— Il est juste sonné, mon Seigneur. Je ne vois rien d’autre. Vous voulez que je le prenne en croupe ?
— Non. Installe-le dans l’herbe, contre la clôture. S’il se réveille sur ton cheval, il risque de rendre la bête plus nerveuse encore. Je ne sais pas ce qui se passe ici mais nos montures le sentent et n’ont qu’une envie : fuir cet endroit. D'ailleurs, ne prenons pas de risque, descendez tous de cheval et attachez vos montures à la clôture, ordonna Gyls après un instant de réflexion. Nous allons finir le trajet à pied.
Les gardes obtempérèrent promptement et se placèrent de façon à encadrer leur seigneur, deux au-devant, deux de part et d’autre, et les deux derniers fermant la marche. Tous avaient tiré leur arme au clair, sauf Gyls. Il avait le pressentiment qu’il n’y avait plus le moindre danger. Il avait identifié l’odeur qui leur soulevait l’estomac et il se doutait que ses hommes, eux aussi, avaient compris, même si personne n’avait prononcé un mot à ce sujet. Rarement ils l’avaient senti aussi fortement, une fois, peut-être deux. Le spectacle qui était associé à ce parfum risquait de ne pas être très réjouissant. Ça sentait la mort. Mais la mort qui avait eu le temps de transformer les cadavres en charognes putréfiées et nauséabondes.
Au fur et à mesure qu’ils progressaient, les souvenirs affluaient. La première fois, un vassal avait quémandé l’aide du suzerain car une bande de pillards s’en prenaient à ses gens tandis que lui-même combattait un voisin querelleur. Comme ce n’était pas la première fois qu’il affrontait cet ennemi et qu’il se savait capable de l’affronter sans aide, il n’avait pas sollicité Gyls jusqu’à ce qu’il apprenne que des brigands avaient attaqué et massacré tout un hameau. Quand le seigneur de Monval et ses hommes avaient pénétré dans le village, ils avaient découvert un véritable charnier mais les meurtriers n’avaient même pas pris soin d’ensevelir les cadavres. Hommes, femmes et enfants gisaient là où ils avait été massacrés. Les corps avaient ensuite été mutilés par des bêtes sauvages qui avaient profité de cette aubaine.
Comme il avait été quasiment impossible de savoir qui était qui, Gyls, avec la bénédiction du Père Mathieu, avait donc ordonné que l’on enterre tous les corps ensemble dans une fosse commune. Un tel acte de barbarie ne devant pas rester impuni, le seigneur avait conduit lui-même la traque des meurtriers. Ceux qui ne périrent pas sous le fil de l’épée furent pendus le long des chemins proches de la limite des domaines de Monval et de son vassal. Les cadavres des bandits restèrent ainsi suspendus pendant près d’une semaine en guise d’avertissement.
La seconde fois que Gyls et ses hommes s’étaient retrouvés face à un charnier fut à l’occasion d’une campagne militaire. Les deux camps, pour une raison ou une autre, n’ayant pas voulu admettre la défaite, s’étaient combattus jusqu'au dernier. Le carnage, sis au creux d’une cuvette formée par un ensemble de collines, n’avait été découvert que quelques jours après. Alors qu’ils venaient en renfort après avoir repoussé une autre faction ennemie, le seigneur et son armée firent la macabre découverte. Un homme gisant à quelques mètres à peine du champ de bataille, le corps couvert de blessures qui avaient dû lui être fatales, avait probablement été le dernier à tomber et avait sans doute voulu avertir les siens.
On était encore en plein cœur de l’été et il avait fait de fortes chaleurs qui avaient accéléré la décomposition. Donner un nom à chacun avait été quasiment impossible. Seuls les chefs avaient pu être identifiés et les corps des ennemis avaient été rendus à leurs familles pour qu’ils aient une sépulture digne. Les autres, les soldats anonymes d’un camp et de l’autre, furent rassemblés et ensevelis sous un tertre que l’on érigea à l’endroit même où ils étaient morts.
À chaque fois la vision de ces morts méconnaissables était difficilement supportable. On avait beau avoir connu l’expérience, Gyls doutait que l’on s’y habitue jamais. Dans le cas présent, quoiqu'il puisse trouver, cela serait d’autant plus pénible que c’était des gens qu’il connaissait assez bien et avec qui il avait partagé des moments de fête. Il semblait que ses hommes aussi commençaient à prendre l’ampleur de la situation. Un peu plus tôt, ils s’étaient gentiment moqués de Thibault et de son manque de courage mais la perspective de trouver des corps difformes leur donnait à réfléchir. Les visages étaient graves et les mâchoires serrées. Sans doute se voyaient-ils déjà à la poursuite des meurtriers. Nul doute que cette fois un seul en réchappe vivant, même pour être pendu par la suite.
Le seigneur de Monval n’avait pas voulu effrayer ses gens et avait répondu aux inquiétudes en assurant qu’on lui avait signalé quelques troubles et qu’il allait y mettre bon ordre. Heureusement, dans un sens, la ferme du Grand Paul était particulièrement isolée. Si les gens n’avaient pas prêté trop attention à Hernan qui pourtant avait dû paraître particulièrement affolé, il y avait peu de chance que des voisins se soient rendus compte de ce qu’il s’était passé ; la dernière ferme dans cette direction se trouvait bien avant le bois de Roncevac.
Maintenant qu’il y songeait, Gyls se disait que le Grand Paul avait bien été un des seuls à ne pas prêter foi aux superstitions entourant le bois. Il n’était guère un homme très pieux, non plus. Le travail à la ferme nécessitant une attention de tous les instants et le village où se trouvait l’église étant bien trop loin pour qu’il s’absente le temps d’une messe, il ne quitter sa demeure que pour amener ses cochons à la foire ou au château. Ce n’était pas un homme bourru ni un marginal qui s’isolait loin de la population. Au contraire, quand il fallait tuer le cochon, c’était l’occasion de faire venir des gens de tout le domaine. Il avait plus d’une fois invité la famille du seigneur à y assister. C’était une véritable fête que personne ne voulait manquer ; on y faisait bonne ripaille, vin et bière y coulaient à flot.
D'après ce que Paul avait expliqué à son seigneur, l’endroit était propice à l’élevage de ses cochons. Le bois de Roncevac était peuplé des plus beaux chênes du domaine et, il en était persuadé, de toute la région. Ses bêtes raffolant des glands, c’était en partie pourquoi il s’était installé ici. D'autre part, comme il n’avait pas de voisin immédiat, il pouvait les laisser en semi-liberté sans déranger personne. C’était pourquoi ses porcs étaient en bonne santé et donnaient ainsi de la bonne viande. Quant à toutes ces histoires de fées, de farfadets ou encore d’esprits de la nature qui habiteraient ces bois, il n’en avait jamais aperçu ne serait-ce que l’ombre d’un !
Soudain, le bruit d’un cheval au galop tira Gyls de ses réflexions. Thibault, qui se trouvait être le plus jeune de ses soldats, avait été envoyé en éclaireur et s’en revenait. Il n’avait pas tout à fait quinze ans mais il n’avait pas son pareil pour détecter et suivre une piste. Il savait aussi se montrer d’une grande discrétion. Il avait d’abord fait ses preuves lors des chasses puis son talent avait été mis à contribution à la guerre où il avait permis de déjouer des tentatives d’embuscade ou d’en positionner. Gyls avait malgré tout essayé de le préserver le plus possible en lui évitant les champs de bataille ; il avait lui-même dû assumer des responsabilités d’adulte alors qu’il entrait à peine dans l’adolescence.
Thibault tira d’un coup sec sur les rennes, manquant de faire cabrer dangereusement sa monture. Son visage était aussi pâle que la mort. Incapable de dire un mot, il descendit de cheval, fit quelques pas avant de se courber en deux et de rendre tout que son estomac contenait. Le jeune homme n’avait peut-être pas encore combattu mais il avait aidé à rassembler les morts une fois les combats terminés. Il avait vu suffisamment de cadavres pour ne plus tourner de l’œil ou se rendre malade. Ce qu’il avait découvert chez le Grand Paul l’avait visiblement bouleversé. Il lui fallut encore quelques instants avant d’être en mesure d’aligner plus de trois mots.
— Seigneur, c’est… C’est vraiment horrible ! Ils… Ils sont… On les a…
— Calme-toi, Thibault ! l’encouragea Gyls qui était descendu de selle et avait posé ses mains sur les épaules du jeune homme. On se doute de ce que l’on va trouver. Est-ce que tu as vu des traces encore fraîches ?
— Mon seigneur, vous… Ça fait des jours… Je pense que ça fait au moins une semaine que ça s’est passé. Mais ce n’est pas tout…
Devant le regard incrédule de Gyls et celui teinté de réprobation de son chef, Thibault hésita un peu avant de poursuivre. Il surprit quelques sourires moqueurs, sous-entendant qu’il manquait de tripes, sur le visage des autres. Finalement, il regarda son seigneur droit dans les yeux.
— Ce n’est pas juste un massacre, seigneur. Ils ont été traités pire que des animaux. Les corps ont été dépecés et coupés en morceaux, les têtes ont été plantées sur des piquets… Surtout, et je le jure sur le nom du Seigneur Tout Puissant… (Il se signa tout en disant cela, aussitôt imité, sans doute machinalement, par trois ou quatre de ses compagnons.) On… on les a cuit et mangé ! Il y a des corps embrochés au-dessus de grands foyers. Je n’ai rien vu de plus, seigneur, j’ai… je suis parti vous prévenir.
— Tu as fui, plutôt, tu n’es qu’un trouillard ! Et maintenant, tu dis n’importe quoi pour justifier ta couardise ! Tu n’as même pas pensé à regarder si les bandits étaient toujours là ! le tança Nicolas, furieux.
Il démonta à son tour et d’un pas décidé s’apprêta à corriger Thibault pour avoir manqué à son devoir et tenté de mentir à son seigneur. Avant que le poing n’atteigne le visage du jeune homme, Gyls arrêta le bras de son second.
— Je ne sais pas si ce qu’il a vu est vrai mais il le croit sincèrement, dit-il pour calmer le chef des gardes. Peut-être qu’il a pris des rôtis de cochon pour des cadavres mais Hernan nous a parlé lui aussi d’un massacre. Thibault, tu prétends que plusieurs jours se sont passés depuis cette tuerie. En es-tu sûr ? La ferme du Grand Paul n’est pas si loin, Hernan n’a pas dû mettre plus d’une demi-journée pour rejoindre le château.
— Seigneur, je vous promets que je ne mens pas. Pourquoi est-ce que je mentirais ? Vous allez le voir de vos propres yeux.
Gyls aurait souri devant cette évidence si le sujet n’avait pas été si grave. Il se tourna vers Nicolas et ordonna :
— Prends deux hommes avec toi et contournez la ferme par l’extérieur. Essayez de repérer des traces. Ils devaient être assez nombreux pou perpétrer une telle tuerie. Ils étaient au moins une douzaine de personnes à vivre à la ferme du Grand Paul. Sa femme, trois fils, au moins deux filles, et des gens qui travaillaient pour lui. À mon avis, si, comme l’affirme Thibault, cela fait des jours, les meurtriers sont loin maintenant.
Se contentant de hocher de la tête, Nicolas remonta en selle et fit signe aux hommes les plus proches de lui de le suivre. Les trois cavaliers talonnèrent leurs montures et c’est au petit trot qu’ils empruntèrent un chemin qui déviait légèrement de la route principale. Malgré l’effroi qui se peignait sur le visage de Thibault, Gyls lui ordonna de reprendre sa place parmi les autres. Il aurait pu le renvoyer au château mais cela n’aurait pas aidé le jeune homme. D'une part, il devait se forger le caractère afin d’être prêt à affronter les pires situations et ensuite, il aurait immanquablement souffert des quolibets des autres gardes pour son absence de courage.
Le bois de Roncevac était étrangement silencieux. Pas un oiseau ne chantait et l’on ne percevait pas la moindre activité animale. Les cavaliers pouvaient aisément ressentir la nervosité de leurs montures. Les chevaux ne cessaient de renâcler, couchaient leurs oreilles ou bien les tendaient en direction de bruits qu’eux-seuls parvenaient à entendre. Gyls se demandait cependant si l’anxiété des bêtes n’étaient pas simplement le reflet de celle des hommes.
Le long du chemin qui conduisait jusqu'au bois, les commentaires à voix basse, ponctués de moqueries, étaient allés bon train. Thibault était resté près du seigneur et s’était renfermé dans son monde intérieur. Gyls avait bien tenté de le faire parler, en vain, le garçon n’était pas sorti de son mutisme. Mais depuis qu’ils avaient dépassé la lisière, tous les visages s’étaient durcis et plus personne n’avait plus eu envie de plaisanter. Les dos s’étaient voûtés comme si l’on craignait que les branches basses puissent vous agripper. Les doigts s’étaient crispés autour des rennes et Gyls avait surpris un ou deux de ses hommes tendre la main vers le pommeau de leur arme.
Non seulement, la forêt était plongée dans un étrange, et non moins inquiétant, silence mais la lumière du jour elle-même semblait avoir du mal à filtrer au travers de la frondaison des arbres ce qui rendait l’atmosphère plus pesante encore. À cela s’ajoutait comme une impression d’être observés. C’était comme si les habitants de ces bois retenaient leur souffle et attendaient la suite des événements. De plus, les légendes et les histoires dont Roncevac faisait l’objet n’aidaient pas à rassurer les cœurs et les âmes, même si d’aucuns prétendaient ne pas y prêter foi.
Enfin, les arbres se firent plus clairsemés, les rayons du soleil, qui était bien haut maintenant, presque à son zénith, arrivaient même à percer ici et là. Les visages se détendirent et, imperceptiblement, on se redressait. Seul Thibault paru se recroqueviller un peu plus si c’était possible. Alors qu’il n’avait toujours pas retrouvé toutes ses couleurs, il avait pâli davantage. Gyls commençait à s’inquiéter sérieusement pour lui et se demandait s’il n’allait pas défaillir avant d’atteindre la ferme.
Le chemin à la sortie du bois débouchait directement sur un pré à l’herbe rase. Le sentier était à peine visible et disparaissait complètement par endroit comme s’il était peu emprunté, ce qui devait était fort probablement le cas. En fait, cela s’expliquait sans doute par le fait que la route qui traversait le Bois de Roncevac était certes la plus directe pour se rendre à la ferme du Grand Paul mais certainement pas la plus utilisée. Le fermier n’était peut-être pas homme à prêter foi aux superstitions mais ses gens et ses voisins n’avaient pas l’esprit aussi ouvert. Une autre route, bien plus longue, contournait les bois et passait pratiquement par tous les hameaux alentours.
D’après ce qu’en savait Gyls, le Grand Paul possédait aussi deux ou trois bœufs et vaches pour le labour et le lait. Ce pré était sans doute la pâture de ses bêtes mais pas une ne s’y trouvait à ce moment-là. Nichée dans un creux entre deux collines, la ferme n’était plus très loin et l’on pouvait dors et déjà apercevoir le toit de la porcherie. D'ailleurs, d’ordinaire, on pouvait aussi entendre les porcs, sans parler de l’odeur que l’on pouvait sentir, à moins qu’avec un peu de chance le vent n’ait tourné et l’emporte dans la direction opposé. Mais la chance n’était pas au rendez-vous, bien au contraire. Cependant, c’était bien la seule chose que le vent véhiculait. À part une forte odeur nauséabonde, dont le seigneur de Monval n’était pas sûr que ce soit celle des porcs, pas un bruit, pas un cri d’animal, ne provenaient de la ferme.
— Voyons si nous trouvons des traces par ici, déclara Gyls de Monval en mettant pied à terre, aussitôt imité par ses hommes.
Seul Thibault demeura en selle, impassible, le regard absent. Le seigneur préféra lui ficher la paix et se mit à examiner le sol pour commencer puis les fourrés. Rapidement, force fut de constater que ni homme ni animal n’était passé par ici depuis longtemps. Nicolas et les gardes qui l’avaient accompagné auraient sans doute plus de chances. Et puis, à la ferme elle-même, ils ne manqueraient pas de trouver suffisamment de traces pour suivre la piste des criminels. Le seigneur et ses gens remontèrent à cheval et, sans un mot, prirent la direction des habitations.
L’impression de silence oppressant qu’ils avaient ressenti dans le bois ne les quitta finalement pas tandis qu’ils traversaient le pré. Ils parvinrent jusqu'à une clôture qui était plutôt destinée à empêcher les bêtes de s’éloigner que d’empêcher des intrus de pénétrer sur le terrain. Après tout, ces terres appartenaient au seigneur et à personne d’autre. Juste de l’autre côté, le chemin de terre battue qui constituait la route principale déroulait son tapis brunâtre tacheté du vert des touffes d’herbe qui poussaient ça et là, interrompant son périple dans la basse-cour.
En longeant la clôture, le seigneur savait qu’il parviendrait jusqu'à un portail qui donnerait du côté des étables et de la porcherie mais il voulait entrer par la cour. Sans qu’il en donne l’ordre explicite, l’un de ses hommes avaient déjà mis pied à terre et s’efforçait à enlever les deux rondins transversaux qui constituaient une section de la barrière. Une fois que tout le monde eut franchi le passage, il se contenta de les poser en croix entre les deux piquets verticaux.
Les chevaux, qui avaient malgré tout retrouvé un peu de sérénité après avoir quitté le bois, recommencèrent à renâcler n’arrêtant pas de s’ébrouer et même rechignant à avancer. Leurs yeux roulaient follement dans leurs orbites et leurs naseaux étaient dilatés. L’odeur âcre qui s’était faite plus forte au fur et à mesure qu’ils approchaient de la ferme devait particulièrement les incommoder. Soudain, la monture de Thibault se cabra, projetant son cavalier à terre, et s’enfuit au galop. Cet événement affola les autres bêtes qui manquèrent de l’imiter si leurs cavaliers ne s’y étaient pas préparés et parvinrent à les maîtriser. Il faut dire que leur état d’anxiété donnait à prévoir une telle réaction mais le jeune homme étant lui-même dans un état second s’était laissé surprendre.
Une fois toutes les bêtes calmées, un des hommes de Gyls démonta et s’approcha de Thibault, toujours inconscient :
— Il est juste sonné, mon Seigneur. Je ne vois rien d’autre. Vous voulez que je le prenne en croupe ?
— Non. Installe-le dans l’herbe, contre la clôture. S’il se réveille sur ton cheval, il risque de rendre la bête plus nerveuse encore. Je ne sais pas ce qui se passe ici mais nos montures le sentent et n’ont qu’une envie : fuir cet endroit. D'ailleurs, ne prenons pas de risque, descendez tous de cheval et attachez vos montures à la clôture, ordonna Gyls après un instant de réflexion. Nous allons finir le trajet à pied.
Les gardes obtempérèrent promptement et se placèrent de façon à encadrer leur seigneur, deux au-devant, deux de part et d’autre, et les deux derniers fermant la marche. Tous avaient tiré leur arme au clair, sauf Gyls. Il avait le pressentiment qu’il n’y avait plus le moindre danger. Il avait identifié l’odeur qui leur soulevait l’estomac et il se doutait que ses hommes, eux aussi, avaient compris, même si personne n’avait prononcé un mot à ce sujet. Rarement ils l’avaient senti aussi fortement, une fois, peut-être deux. Le spectacle qui était associé à ce parfum risquait de ne pas être très réjouissant. Ça sentait la mort. Mais la mort qui avait eu le temps de transformer les cadavres en charognes putréfiées et nauséabondes.
Au fur et à mesure qu’ils progressaient, les souvenirs affluaient. La première fois, un vassal avait quémandé l’aide du suzerain car une bande de pillards s’en prenaient à ses gens tandis que lui-même combattait un voisin querelleur. Comme ce n’était pas la première fois qu’il affrontait cet ennemi et qu’il se savait capable de l’affronter sans aide, il n’avait pas sollicité Gyls jusqu’à ce qu’il apprenne que des brigands avaient attaqué et massacré tout un hameau. Quand le seigneur de Monval et ses hommes avaient pénétré dans le village, ils avaient découvert un véritable charnier mais les meurtriers n’avaient même pas pris soin d’ensevelir les cadavres. Hommes, femmes et enfants gisaient là où ils avait été massacrés. Les corps avaient ensuite été mutilés par des bêtes sauvages qui avaient profité de cette aubaine.
Comme il avait été quasiment impossible de savoir qui était qui, Gyls, avec la bénédiction du Père Mathieu, avait donc ordonné que l’on enterre tous les corps ensemble dans une fosse commune. Un tel acte de barbarie ne devant pas rester impuni, le seigneur avait conduit lui-même la traque des meurtriers. Ceux qui ne périrent pas sous le fil de l’épée furent pendus le long des chemins proches de la limite des domaines de Monval et de son vassal. Les cadavres des bandits restèrent ainsi suspendus pendant près d’une semaine en guise d’avertissement.
La seconde fois que Gyls et ses hommes s’étaient retrouvés face à un charnier fut à l’occasion d’une campagne militaire. Les deux camps, pour une raison ou une autre, n’ayant pas voulu admettre la défaite, s’étaient combattus jusqu'au dernier. Le carnage, sis au creux d’une cuvette formée par un ensemble de collines, n’avait été découvert que quelques jours après. Alors qu’ils venaient en renfort après avoir repoussé une autre faction ennemie, le seigneur et son armée firent la macabre découverte. Un homme gisant à quelques mètres à peine du champ de bataille, le corps couvert de blessures qui avaient dû lui être fatales, avait probablement été le dernier à tomber et avait sans doute voulu avertir les siens.
On était encore en plein cœur de l’été et il avait fait de fortes chaleurs qui avaient accéléré la décomposition. Donner un nom à chacun avait été quasiment impossible. Seuls les chefs avaient pu être identifiés et les corps des ennemis avaient été rendus à leurs familles pour qu’ils aient une sépulture digne. Les autres, les soldats anonymes d’un camp et de l’autre, furent rassemblés et ensevelis sous un tertre que l’on érigea à l’endroit même où ils étaient morts.
À chaque fois la vision de ces morts méconnaissables était difficilement supportable. On avait beau avoir connu l’expérience, Gyls doutait que l’on s’y habitue jamais. Dans le cas présent, quoiqu'il puisse trouver, cela serait d’autant plus pénible que c’était des gens qu’il connaissait assez bien et avec qui il avait partagé des moments de fête. Il semblait que ses hommes aussi commençaient à prendre l’ampleur de la situation. Un peu plus tôt, ils s’étaient gentiment moqués de Thibault et de son manque de courage mais la perspective de trouver des corps difformes leur donnait à réfléchir. Les visages étaient graves et les mâchoires serrées. Sans doute se voyaient-ils déjà à la poursuite des meurtriers. Nul doute que cette fois un seul en réchappe vivant, même pour être pendu par la suite.
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